La thématique « Écosystème » du Paris Open Source Summit 2017
Jeudi 7 décembre 2017, lors du Paris Open Source Summit, je n’aurai que cinq minutes pour introduire la session plénière de la thématique « Écosystème ». C’est trop peu pour rendre compte de la richesse des sessions de cette thématique, dont je donne ici un aperçu sélectif plus bavard. En espérant contribuer à nourrir les échanges avant, pendant et après ce salon.
Les héritages du logiciel libre
En 2017, nous fêterons les 20 ans de l’Open Source Initiative et Simon Phipps sera là pour évoquer cet anniversaire. 20 ans d’Open Source et 32 ans d’existence de la Free Software Foundation.
Qu’est-ce que les mouvements du logiciel libre et de l’Open Source ont fait évoluer en une génération ?
Notre environnement informatique
Sans le libre, pas de Web. Sans le libre, pas de « cloud ». Sans le libre, pas de téléphone Android dans votre poche. Les logiciels libres sont désormais partout et tout le monde connaît l’expression « Open Source ».
Partout… et nulle part : le logiciel libre est souvent invisible pour les utilisateurs. Soit parce qu’il est du côté des couches dites « basses » de l’informatique, soit parce qu’on écarte l’utilisateur de l’idée qu’il dispose, à l’égard de ces logiciels, des quatre libertés fondamentales qui les définissent.
Mais visibles ou invisibles, les logiciels libres et ceux qui les produisent se sont placés, en vingt ans, au coeur des innovations informatiques, et nous avons cet héritage sous les yeux au quotidien.
La libération des oeuvres culturelles
20 ans d’Open Source et 16 ans de licences Creative Commons, nées en 2001 sous l’impulsion de Lawrence Lessig. 2001, c’est aussi l’année de naissance de l’encyclopédie collaborative libre, Wikipédia. Deux événements nés du mariage entre les idéaux du libre et le succès du Web. Un vrai mariage d’amour, une flamme qui demande à être ravivée régulièrement !
The battle for copyright (La bataille du copyright) par Christopher Dombres (cc)
Pour ce qui est des oeuvres culturelles, Lionel Maurel dressera un panorama des usages des licences Creative Commons en 2017 et Benjamin Jean présentera le collectif Culture Ouverte, qui vient tout juste de naître.
L’ouverture des données publiques
En plus de la libération des oeuvres partagées sur le Web, le libre a inspiré deux autres mouvements de fond : celui du Libre Accès (ou Open Access) pour la libération des articles scientifiques, et celui de l’Open Data, pour la mise à disposition des citoyens des données produites par les administrations.
Il sera peu question de libre accès cette année, même si la session consacrée au libre dans la recherche publique l’abordera peut-être, à la lumière notamment des changements importants introduits par la loi pour une République Numérique. Mais ce sera la première fois qu’une place aussi importante est faite au mouvement de l’Open Data avec une session animée par Simon Chignard et consacrée à l’Open Data, l’Open Source et l’Open Gov par et pour les administrations.
Les outils pour s’engager politiquement
Car au-delà encore de la libération des contenus en ligne, des articles scientifiques et de la donnée publique, le mouvement du logiciel libre a permis d’explorer empiriquement de nouvelles formes de participation démocratique : de LiquidFeedback à DemocracyOS, c’est chaque fois l’histoire de rencontres entre des hacktivistes du libre et des citoyens engagés, rencontres faisant émerger des expérimentations grandeur nature, à l’échelle du Web. Et pour reprendre l’intitulé de l’intervention de Caroline Corbal : pour la CivicTech, il nous faut « des biens communs numériques, sinon rien ! »
Notre perception de l’informatique ?
Il est difficile de circonscrire l’impact d’un mouvement aussi vaste et varié que celui du logiciel libre.
Mais imaginez un instant que le World Wide Web de Tim Berners-Lee soit resté confidentiel face à des BBS de plus en plus fermés ; que tous les systèmes d’exploitations soient propriétaires ; que toutes les oeuvres qui circulent sur ces réseaux privés via nos ordinateurs opaques soient elles-mêmes « protégées » par un usage traditionnel du droit d’auteur ; qu’aucune administration n’ait l’obligation de partager les données qu’elle produit avec nous, les citoyens ; que nous autres citoyens ne dépendions que d’initiatives privées et jalouses de leurs brevets pour voter en ligne ou nous mobiliser… c’est notre perception entière de l’informatique qui serait différente : un outil de contrôle social, un relais de la bureaucratie, plutôt qu’un medium et un moyen pour mieux penser et mieux agir.
Ce qui est nouveau
Voyons maintenant ce qu’a de neuf cette édition du POSS 2017 pour la thématique « Écosystème ».
La prise de conscience de la nécessaire redécentralisation des services Internet
C’est peu de le dire : les géants du Web n’ont pas la cote en ce moment. On les accuse d’être des puissances aliénantes : aliénation des États, qui peinent à mettre en place une fiscalité plus juste ; aliénation des utilisateurs qui leur confient leurs données personnelles et travaillent pour elles gratuitement ; aliénation des développeurs, qui se voient imposer des choix techniques douteux par ceux qui sont aux commandes du Web.
Je n’évoque pas un futur douteux, mais le présent. L’émergence des Walled Garden qui entament la décentralisation du réseau des réseaux. Le « digital qui défie l’État de droit », comme le dit Olivier Iteanu dans son excellent livre . Les « apps » fermées qui remplacent les sites web ouverts . Les utilisateurs sous Surveillance:// à cause du modèle dominant de la publicité en ligne, comme l’explique Tristan Nitot . Les développeurs contraints de se caler sur les environnements techniques contrôlés par les géants, même lorsque ceux-ci cassent la rétro-compatibilité de fonctions stratégiques. La neutralité du Net, toujours menacée. Les menottes digitales qui mettent un pied dans la porte des navigateurs et menacent le web ouvert.
Contre les DRM dans le HTML5 !
Face à cela, oui, il faut se retrousser les manches et aborder la « nécessaire redécentralisation de l’Internet », selon l’expression qui sert de titre à la session animée par Tristan Nitot, et les libristes ont un rôle clef à jouer dans cette redécentralisation.
Le développement de logiciels libres par et pour les administrations
Nous avons évoqué l’Open Data, mais la loi pour une République Numérique va plus loin et exige des administrations qu’elles publient le code source des logiciels qu’elles développent ou font développer.
"Le code source d’un logiciel détenu par une administration est un document administratif communicable." https://t.co/nLuFseWvnd C'est là que ça devient marrant.
— Bastien Guerry (@bzg2) 2 décembre 2017
Le POSS sera l’occasion d’aborder le travail d’Étalab sur l’Open Data, l’Open Source et l’Open Gov, en passant aussi par une présentation par Mathilde Bras du programme « Entrepreneur d’intérêt général », réédité en 2018 avec 27 développeurs en mission dans les administrations.
L'engagement de la Commission Européenne pour la licence libre EUPL 1.2
Stefano Gentile, de l’initiative de la Commission Européenne JoinUp, présentera la licence EUPL 1.2, publiée en mai 2017 et traduite dans toutes les langues européennes.
Cette nouvelle version sort dix ans après la version 1.0 et apporte plusieurs améliorations, au premier rang desquelles une plus grande compatibilité avec les licences à copyleft faible et fort.
Elle est utilisée pour les logiciels produits par l’administration européenne.
Vidéo extraite de la campagne https://publiccode.eu/fr/
Les chemins qui se croisent entre le logiciel libre et l'open data au service de la transition écologique
Last but not least, cette édition du POSS propose une session très riche autour des liens entre la transition vers l’Open Source et la transition écologique.
Animée par Samuel Goldszmidt, chargé de mission transformation numérique au ministère de la transition écologique et solidaire, la session accueillera une dizaine d’intervenants qui présenteront des projets où les problématiques écologiques sont abordées grâce à des approches favorisant le libre – comme par exemple le projet HAND, Hackers Against Natural Disasters, qu’exposera Gaël Musquet.
Ceci ne vaut pas encore programme commun, mais il y a là l’ébauche d’un rapprochement prometteur, et tous ceux qui sont sensibles à ces deux défis devraient s’y rendre.
Vers le développement soutenable ?
Le libre a dû batailler pour s’imposer. Sur le plan technique, la bataille est entre de bonnes mains. Sur le plan des idées, c’est compliqué : nous avons gagné de nous rassembler (coucou Framasoft !), mais les lignes de front se multiplient, et la génération qui avait vingt ans à la sortie de la Red Hat 4.2 en 1997 (la mienne…) est en train de vieillir, voire de s’essouffler.
Le bon vieux temps: Red Hat Linux 3.0.3 - 4.2, 1996-1997
Le combat ne peut continuer que si nous relevons deux défis : celui de la diversité des acteurs du libre et celui de l’invention de nouveaux modèles économiques.
Deux défis
Favoriser l’inclusivité et la diversité
Le contraste entre les idéaux de partage, de construction des biens communs informationnels et les pratiques discriminantes au sein de certaines communautés sont un bug, pas une fonctionnalité.
Nina Cercy interviendra en plénière pour s’attaquer à la question et Sophie Gautier l’évoquera en nous parlant des moyens de bâtir une communauté qui oeuvre de concert.
Des communautés inclusives, ce n’est pas seulement bon pour l’image, la citoyenneté et la bonne conscience : c’est bon pour le libre, c’est bon pour les logiciels, c’est bon pour l’usage réelle de la liberté à travers l’informatique.
Être « libriste » ne devrait pas être un moyen de se distinguer en se réclamant d’une mono-culture : ça devrait être un moyen de rassembler diverses cultures autour d’un objectif commun, la libération du code et à travers elle, la réappropriation par les utilisateurs de leur environnement logiciel.
La diversité à son comble : espace et tabulations sont sur un canapé.
Faire émerger nouveaux modèles économiques
Ce n'est pas parce qu'il existe des modèles économiques pour le financement des logiciels libres que ces modèles sont les bons.
Si vous pensez que tout va bien, lisez ceci, puis prenez un dimanche pour lire les liens de cette page et demandez-vous : « Pourquoi ? »
Les logiciels libres sont les messages que nous envoyons dans le futur
Dans The Disappearance of Childhood (1982), Neil Postman écrit : « Les enfants sont les messages vivants que nous envoyons dans un temps que nous ne verrons pas. »
À chaque seconde, des personnes engagées dans le mouvement du logiciel libre écrivent des logiciels libres. Ces programmes sont les enfants qu’ils envoient dans le futur. Un futur que nous devons rendre plus durable, plus soutenable, et dont nous devons prendre soin ensemble.
Roberto Di Cosmo et Stefano Zacchiroli seront justement présents pour évoquer le projet Software Heritage, lequel se donne pour ambition de donner un accès pérenne et structuré à l’ensemble du patrimoine des logiciels libres.
Pour que le libre soit plus durable, il faut continuer de soutenir les combats de la Free Software Foundation. Continuer de chercher de nouveaux modèles de soutenabilité économique, car ceux en cours aujourd’hui ne sont sûrement pas les meilleurs.
Et tout cela ne se fera pas sans que l’on s’attaque sérieusement au problème du manque de diversité des communautés du libre.
Richard Stallman, pour indiquer que les enjeux sont sociétaux et non techniques, précise souvent qu’il vaut mieux un mauvais logiciel libre qu’un bon logiciel privateur. J’irais plus loin en disant qu'il vaut mieux un mauvais logiciel libre soutenu par une communauté diverse et inclusive qu’un bon logiciel libre soutenu par une communauté de brogrammers.
C’est par ici !
Voilà, je vous ai tout dit. Ou presque : car il y a de très nombreuses sessions, je n’ai pas pu les citer toutes. Notamment la cession animée par Primavera De Filippi sur la blockchain ; celles animées par OW2, comme le désormais traditionnel « Open Source Community Summit ».
Il ne me reste plus qu’à vous donner rendez-vous les 6 et 7 décembre 2017 aux Docks de Paris pour cette 3ème édition du Paris Open Source Summit !
Rendez-vous le 6 et 7 décembre au Paris Open Source Summit
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